Ce budget de 548,5 M est marqué du sceau de l’endettement, en réalité deux endettements à bien distinguer : une dette productive, celle des investissements, dont les Liégeois tirent bénéfice, et une dette improductive et risquée, celle des coûts du passé. Cette situation dure depuis trop longtemps. Face à ce poids, c’est un un budget précaire, reposant sur des mécanismes risqués quand Liège a besoin de rigueur.

 

Un contexte financier complexe

 

Ce budget s’inscrit dans une situation économique compliquée pour les finances des communes :

  1. le financement des zones de police par les pouvoirs locaux, notamment les effets de l’accord sectoriel, un accord nécessaire mais dont la mise en œuvre aurait du être soutenue par le pouvoir l’ayant négocié, à savoir l’échelon fédéral ;
  2. l’augmentation des charges du CPAS en raison des exclusions du chômage et de la limitation des allocations d’insertion. Cette révision fédérale, en réalité une régionalisation déguisée, entraîne en Wallonie une hausse du nombre de bénéficiaires des revenus d’intégration sociale. Ces charges renforcent et cotoient également de nouvelles précarités, telles que les difficultés à payer ses factures d’énergie comme l’illustre à nouveau l’explosion des demandes de secours hivernal.
  3. Le tax shift impacte les communes. Il touche à l’Impôt des Personnes Physiques (IPP), manne importante des finances communales, diminuant le retour pour les communes, donc leurs capacités financières
  4. En Wallonie, les communes ont dû s’adapter à la fin du soutien aux aides à l’emploi de type “PTP

 

Le climat, le vieillissement, les coûts supra-communaux : tout ça impacte les finances liégeoises !

 

La capacité financière de notre commune est également ébranlée par d’autres phénomènes. Certains se ressentent en 2020, d’autres marqueront les finances de la ville dans les prochaines années :

– La perte de dividendes pour les communes, qu’il s’agisse de RESA, ou la non distribution de dividendes par le CHR en raison de sa situation financière. C’est un fait, les exercices budgétaires les intégraient, il faudra faire autrement. Le budget, cependant, n’a pas pour vocation à reposer sur des bénéfices dégagés de l’activité hospitalière ou de l’accès à l’énergie, payé au final par le contribuable.

Les coûts « supra-communaux », supportés par notre ville. Notre ville est densément peuplée, elle accueille de nombreux services et entreprises, de nombreuses administrations, des insitutions importantes ainsi que des écoles. Elle supporte seule des coûts métropolitains. Il y a un accord dans ce Conseil, je pense, pour dire que sur certaines dépenses, Liège “subit” le manque de travail en agglomération. On pourrait débattre des responsabilités de la stagnation du débat métropolitain, cette stagnation résulte de facteurs bien plus complexes qu’une simplification qui dresserait Liège contre la périphérie. Dans la perspective des années futures et des besoins financiers, la concrétisation de ce débat devient pressante. Bref, actuellement, les coûts concernent les déchets, la mobilité mais aussi des infrastructures collectives qui reposent sur les épaules de la Ville, bien que leur intérêt soit plus que communal. Ca s’exprime tout particulièrement cette année, avec le cas de la piscine Jonfosse (1,3 M de dépenses de fonctionnement annuelles). Nous sommes tous et toutes heureux d’assister à l’aboutissement d’un projet qui a mis du temps pour sortir de terre. Cette piscine va véritablement combler un manque en offre sportive. Mais ce coût mériterait d’être pensé en synergies avec d’autres communes.

  • Au-delà du débat que nous avons eu hier sur le besoin de planifier l’action politique en terme de climat, il est à craindre dans les prochaines années des événements météorologiques difficiles, qu’il s’agisse de fortes chaleurs, de tempêtes ou autres, et d’avoir à réagir de manière rapide. Evidemment, je ne suis pas Madame Soleil. En revanche, nous vivons déjà les difficultés qu’entraîne une ville d’eau, en cuvette, fort bitumée, et avec des canyons urbains. Nous savons que la gestion des eaux est particulièrement compliquée dans certains quartiers, que le réseau d’égouttage peine à être rénové. Il est vraisemblable que dans les prochaines années, il faille recourir à des investissements imprévus, à des moyens encore peu envisagés donc d’en ressentir les effets sur les finances.
  • Enfin, le vieillissement de notre population va, d’une part, impacter l’IPP et, d’autre part, va nécessiter des investissements en aménagement du territoire, en conception de logement, en mobilité, en politique intergénérationnelle et en cohésion sociale. Des effets plus diffus, que l’augmentation d’un poste de dépense en particulier, mais des effets bien réels.

Ce contexte esquissé, venons-en au budget 2020. Reconnaissons à Madame Defraigne une qualité différente de son prédécesseur, celle d’une certaine transparence autour de la situation financière très dure de la Ville. Vous nous l’avez dit d’emblée : le Collège devait trouver 20 M pour présenter un budget à l’équilibre. Pour les nouveaux conseillers communaux, cette différence n’évoque pas grand-chose mais ceux qui se rappellent la précédente législature se rappelleront aussi que le message général était “tout va bien… jusqu’à demain”, “le budget est à l’équilibre ”. Le ton a changé, je tenais à souligner cette différence, car, vous en conviendrez, il était grand temps. Mettre la dette de la Ville de Liège au centre du débat budgétaire, c’est enfin parler des solutions, des enjeux et des avenirs possibles.

 

Des recettes et des dépenses qui reposent sur des artifices budgétaires dangereux

 

Madame Defraigne, avant décembre 2018, vous appeliez de vos voeux un changement de cap, une stratégie financière moins basée sur l’emprunt, et en tout cas reposant sur une planification et une gestion anticipative. Ca ne sera pas pour cet exercice-ci. Le Collège nous propose un équilibre précaire, reproduisant différents mécanismes utilisés sous la précédente mandature et qui pèsent lourd sur les finances communales.  Le crédit spécial de recettes de  5,1 M, censé préfigurer les dépenses non engagées de l’exercice, gonfle les recettes. Par ailleurs, le budget ordinaire s’ouvre sur 7 M de non-valeurs de droit constatés non perçus du service ordinaire aux comptes 2018 (ordinaire) et sur le prélèvement de 44, 2 M en recettes pour équilibrer les dépenses des exercices antérieurs. Autrement dit, sur 51 M qui ne concernent pas la vie liégeoise de 2020, mais sur des prévisions antérieures trop courtes. Il faut désormais renflouer. Ajoutons à cela le commentaire inquiétant de Monsieur le Directeur financier dans le rapport de la Commission budgétaire qui considère que les non-valeurs et les créances irrecouvrables sont estimées de manière minimale. Le danger des artifices budgétaires, c’est comme les feux du même nom, ils sont peut-être beaux mais éphémères. Il y a fort à parier que le problème se reproduise.

 

Madame Defraigne, vous appréciez qu’on vous cite. Lors de la législature précédente, vous aviez rebaptisé le fond FOURMI le fonds CIGALE. Les recettes sont également comblées par un recours de près de 7,5 M au fonds FOURMI : il en restera 2,1 M pour l’année suivante. Pourquoi ne pas officialiser définitivement ce nom ? Rappelons enfin la fragilité des recettes du contrat JCDecaux. Les 5M rapportés cette année passeront en 2022 à 3M, bien que la pub restera, elle, toujours aussi invasive dans l’espace public.

 

Face à la dette, le Collège doit se responsabiliser pour la survie de l’action locale !

 

Bref, ce budget repose sur un ponctionnement des réserves, des estimations optimistes et sur l’emprunt. Cependant, il faut bien distinguer selon Vert Ardent deux situations, l’endettement à fonds perdus dans le dossier “pensions” et l’emprunt pour investir.

Le trou du budget ordinaire, la béance créée par le coût des pensions et de la cotisation de responsabilisation, est à nouveau comblé par un emprunt CRAC de 36 682 043  euros. Ce chiffre pourrait presque passé inaperçu et habituel sur ce budget colossal, mais rappelons d’où on vient. Cette somme équivaut au triple de la somme déboursée en 2013 (13 M), sur fonds propres. Ces emprunts faramineux sont récents, mais ils sont exponentiels. Leurs charges de remboursement aussi et atteignent 8 M d’annuité.Ces recettes et dépenses sont de la charge pure, totalement improductive.  Et le problème n’est pas réglé.

Qu’entend-on ? Un report de l’actualisation du plan de gestion, pas d’avancées sur le dossier des pensions. « A chaque jour, suffit sa peine », nous a dit Madame Defraigne. J’entends bien que la constitution d’un gouvernement a retardé les tractations éventuelles. Néanmoins, il est grand temps d’élargir le scope.

59 M en 2023 et 53,996 M en 2024 seront à débourser par la Ville pour ce coût pension. À la fin de cette mandature, ce sont 3 communes sur 4 qui ressentiront les effets du coût du financement des pensions du personnel statutaire. Le problème sera donc global, la situation liégeoise ne sera pas isolée et chacun voudra des réponses financières. Les trouverons-nous séparément, dans une concurrence des communes entre elles, ou dans une stratégie concertée ? Sera-ce chaque baronnie pour elle-même ? Voilà un véritable débat politique, certes aride, mais qui touche à la fois à la logique de financement des pouvoirs publics et à la survie de l’action locale.

Liège, depuis de nombreuses années, comble avec des ressources propres, en réalité par le recours à l’emprunt, et appelle de ses voeux un financement externe, soit fédéral, soit régional. Quand aurons-nous une information consistante ? Cette incertitude budgétaire est paralysante, et aucune réponse n’est simple. Car même si la dette est reprise par la Wallonie, demeure la question de :

  • comment ce sera payé,
  • qui payera
  • ce que Liège perdra pour l’effacement de l’ardoise.

Vous savez pertinemment que ça ne sera pas simple. Il est plus que temps de préfigurer des scénarios et de passer d’une cotisation de responsabilisation à une plus grande responsabilisation sur la question des cotisations.

 

C’est d’autant plus un débat crucial que la tétanie actuelle est problématique pour l’investissement dans les missions publiques et pour répondre aux différents enjeux présentés il y a quelques lignes. Investir dans notre ville, que ce soit en terme de mobilité, de rénovation énergétique des bâtiments, de rafraîchissement de lieux d’accueil et d’écoles de qualité, consiste en une dette dite productive. Les Liégeois et les Liégeoises ont un retour sur impôt, sur précompte ou sur taxe, pour le dire platement. Ils obtiennent également la qualité de vie à laquelle ils aspirent.

Le Collège se dit ambitieux mais responsable, or il propose un faible taux d’investissement, compréhensible au vu de la situation, mais qui signifie un sous-investissement public : alors que la RW autorise 160 EUR/hab/an, la Ville décide d’investir 125/EUR/hab/an. Investir plus, si c’est pensé intelligemment, si c’est effectué en regardant les prévisions futures, peut nous aider. La Ville renonce à 7 M. 7M dans la rénovation énergétique, c’est un investissement qui a du sens et qui peut aider à réduire les dépenses importantes en énergie. Nous ne voulons pas que le poids de la dette pensions serve de prétexte pour freiner sur d’autres enjeux tout aussi cruciaux pour le bien être des habitant.e.s de notre cité ardente.

Ce que nous apprend la situation actuelle, c’est que lors de cette législature, la capacité à générer d’autres recettes et de maîtriser les dépenses sera fondamentale. Pas n’importe lesquelles. Et c’est ce débat que nous négligeons, accaparés par la cotisation de responsabilisation. En priorité, Vert Ardent souligne les dépenses énergétiques et la gestion des déchets. La diminution du personnel pose question. Le monitoring des effets de la suppression de postes, outre la stabilisation des masses salariales, est un enjeu politique : quelle administration, pour quels services ? Quels effets sur le travail ?

 

Vous naviguez à vue, alors que les Liégeois sont en droit d’attendre une gestion responsable et sur le long terme. Dans l’attente d’une réponse sur la reprise de l’endettement de la ville de Liège, il faut de la simulation budgétaire. Vert Ardent plaide pour des plans financiers pluriannuels. Nous avons besoin de scénarios à confronter et à débattre. La dette est un immense problème, complexe. Mais votre manque de propositions, de proactivité pour diminuer ce problème est tout aussi catastrophique.

 

En conclusion, ce budget, c’est l’habituel todibonisme liégeois. On continue comme avant, jusqu’à ce que ça craque. La dette tétanise le Collège alors qu’il n’a jamais été autant nécessaire d’être sur le pont. Nous ne vous demandons pas de tout prendre en charge vous-mêmes, nous vous demandons d’avoir une stratégie. Nous vous demandons d’avoir une vue à long terme, quel que soit notre sort. Face aux nombreux enjeux, de densification, de vieillissement et de précarité de la population, de climat ; face aux difficultés financières que nous connaissons ; il faut vous réveiller. La transparence, c’est bien. L’action, c’est mieux.

 

Caroline Saal, cheffe de groupe Vert Ardent

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