Madame la Présidente du Conseil, Monsieur le Bourgmestre, Mesdames et Messieurs les échevins, conseillères et conseillers communaux et de l’action sociale, je m’attacherais ce soir à vous exprimer l’analyse de Vert Ardent quant aux synergies mises en place entre la ville et le CPAS dans le cadre de la politique sociale de la ville.

Pour commencer, je reprendrais les chiffres de la note de politique générale 2020 du CPAS. En 10 ans, de 2008 à 2018, le nombre de dossiers donnant lieu au paiement d’un revenu d’intégration sociale a augmenté de 37% pour une augmentation du nombre de bénéficiaires de 63 %.       

En mars dernier, nous avions demandé une augmentation de la dotation communale du CPAS de 2.500.000 euros pour permettre au personnel du CPAS de faire face à la charge de travail grandissante. Nous mettions en effet en évidence que si le budget global du CPAS avait bien augmenté ces dernières années, c’était toujours en lien avec des projets spécifiques qui ne prennent pas en compte les frais de fonctionnement quotidiens. Nous pointions également le sous-financement d’associations actives dans le secteur social, débordées et faisant usage de nombreux bénévoles, y compris pour pallier des manques de la politique publique.

Récemment, le collège communal a annoncé une augmentation de la subvention de 5.6% soit 1.400.000 dont 400.000 euros d’indexation, ainsi que l’engagement de 5 assistants sociaux. Une augmentation de 1.400.000 pour la dotation du CPAS, c’est un pas mais nous pensons qu’il n’est pas suffisant. Pas suffisant pour permettre au CPAS d’exercer pleinement ses compétences et soulager ses travailleurs qui croulent sous les dossiers. Pas suffisant non plus pour mener une politique sociale globale, au sens large, qui va au-delà des compétences du CPAS.

C’est ce que nous souhaitons aujourd’hui développer en mettant l’accent sur une des grandes priorités de la déclaration de politique sociale 2019-2024 qu’est la lutte contre le sans-abrisme.

On compterait à Liège aujourd’hui environs 800 sans-abri dont un peu plus de 500 avec une adresse de référence au CPAS.

Dans la nuit du 13 novembre, les services de la ville ont effectué un recensement des personnes dormant dehors sur les quartiers du Centre, d’Avroy, des Guillemins, d’Outremeuse et du Longdoz. Cette nuit-là, 61 personnes ont été recensées comme dormant dehors. En plus de celles-ci, 45 dormaient en tentes et en campement. L’abri de nuit de la ville et celui de Thermos étaient quant à eux tous 2 complets puisqu’ils hébergeaient respectivement 23 et 24 personnes. Nous le savons, l’offre de solutions d’urgence à Liège est insuffisante au vu de l’afflux de sans-abri et ce recensement le confirme.

Mais nous savons également que nombre de sans-abris ne veulent pas se rendre à l’abri de nuit dans son modèle actuel. Les raisons en sont multiples ; trop dangereux, peur de se faire racketter ou de se faire taper dessus, interdiction de consommer ou d’avoir un animal, mais aussi des horaires contraignants avec une ouverture seulement de 21h à 8h du matin.

C’est notamment le cas de résidents de différents camps. C’est aussi le cas de nombreux consommateurs de stupéfiants.

Nous nous réjouissons de l’augmentation des moyens octroyés pour développer le mécanisme Housing first avec un renforcement de l’équipe et l’engagement de 3 équivalents temps plein supplémentaires dans l’associatif à cette fin. Si les projets Housing first permettent de trouver une solution durable aux sans-abris avec un logement et un accompagnement intensif, ils nécessitent cependant beaucoup d’énergie et ne peuvent permettre la prise en charge que d’un nombre restreint de bénéficiaires à la fois. Le plus grand nombre restant dès lors sur le carreau, attendant son tour ou étant prié de se débrouiller autrement.

Nous pensons dès lors qu’il importe de développer et de soutenir d’autres solutions, des solutions durables mais également des solutions transitoires.

L’asbl des infirmiers de rue s’est implantée à Liège en mai 2019. Celle-ci, agissant par l’angle médical, a également pour objectif de sortir durablement de la rue des sans-abris en ciblant ceux dont la santé est particulièrement critique. Des sans-abris qui ne passeraient pas l’hiver si on ne s’occupait pas d’eux. Les infirmiers de rue, en collaboration avec les maisons médicales et Housing first, travaillent à améliorer l’état de santé de sans-abris qu’ils ont ciblés, 6 à 8, et à les sortir de la rue durablement avec un logement et un accompagnement intensif. Actuellement, elles sont 3 à travailler à 4/5. Elles sont, presque sans surprise, débordées devant le nombre de cas critiques qu’il faudrait prendre en charge et estiment qu’il serait nécessaire d’engager une 4ème personne pour 2020.  Pour rappel, sur l’année 2018, 26 personnes sont décédées en rue. On situe généralement l’espérance de vie des sans-abris entre 45 et 50 ans. Nous estimons que le travail effectué par l’asbl des infirmiers de rue est un service à la communauté qui a vocation à être financé principalement par le public et non par des donateurs privés via du financement participatif comme c’est actuellement le cas. La subvention de la ville pour 2019 pour cette asbl dont l’activité a commencé en mai était de 3700 euros, le collège en propose aujourd’hui 8300. Nous soulignons qu’une telle somme ne pourrait même pas financer un mi-temps. Nous demandons que cette subvention soit revue à la hausse.

En outre, nous pensons qu’il est temps d’envisager à la ville de Liège un autre type d’accueil d’urgence ou transitoire permettant aux sans-abris de se reposer. Nous pensons qu’il faut mettre en place un hôtel social où on répond aux besoins des sans-abris, ce qui signifie, notamment, des espaces individuels pour se reposer, la possibilité de déposer ses affaires en lieu sûr, une ouverture 24/24 et la possibilité de se laver.

En l’absence d’abri sécurisé à ce jour et au vu de l’impossibilité d’initiatives de type Housing first à faire face au nombre important de sans-abri à Liège mais aussi devant l’insécurité de la rue et la difficulté d’en sortir seul, des initiatives privées s’organisent depuis quelques années. Nous avons visité le camp de la Chartreuse, une initiative privée organisée par des bénévoles qui permet à des sans-abris de séjourner sous tente et de partager un cabanon communautaire chauffé.  Evidement ça ne peut pas être une solution à long terme et ce n’est pas l’objectif. Je crois que nous sommes tous d’accord de dire que vivre dans une tente en hiver est loin d’être un idéal. Mais il s’agit ici d’une solution transitoire, faute de mieux. Ceux qui y résident peuvent compter sur la solidarité du groupe et d’un soutien des bénévoles avant de retrouver un appartement et de pouvoir remettre le pied à l’étrier. Cette semaine, le collectif a d’ailleurs enregistré la signature du 60ème bail relogeant ainsi un de leur résident dans un véritable logement.  Malheureusement, il y a quelques jours, leur cabanon a brulé et l’origine serait peut-être criminelle. Cette initiative privée ne manque toutefois pas de ressources et ils ont déja trouvé un nouveau cabanon absolument nécessaire à la survie des résidents pour passer l’hiver. Nous attendons ici de la ville au minimum un soutien, lui permettant d’installer ce cabanon. Nous avons fait des propositions en ce sens à Monsieur le Bourgmestre et des avancées semblent possibles. Nous nous en réjouissons et continuerons de suivre le dossier.

A côté des outils de logements et de réinsertion, nous soulignons l’évaluation positive des casiers solidaires mis à disposition des sans-abris en rue, et appelons à leur augmentation et à leur accessibilité dans divers endroits de la ville, proches des milieux de vie des sans-abris.

Enfin, au vu de l’afflux de sans-abris sur la ville de Liège, nous demandions en mars dernier à ce que la problématique du sans-abrisme soit mise à l’ordre du jour de la conférence des bourgmestres dont Monsieur le Bourgmestre est le président. A ce jour, nous n’avons pas connaissance d’une telle démarche et réitérons dès lors notre demande. Nous avons par contre eu connaissance de l’inscription de la ville dans le réseau Urbact roof qui regroupe plusieurs grandes villes européennes dont Gand, Naples ou encore Glasgow ou Toulouse pour lutter contre le sans-abrisme par l’échange de bonnes pratiques développées localement. Nous saluons bien sûr cette mise en réseau des grandes villes européennes mais souhaiterions également une activation des réseaux locaux, existants avec les communes avoisinantes.

Avec la question centrale du sans-abrisme, il y a bien sûr la difficulté de retrouver des logements pour un public particulièrement précarisé. Nous nous réjouissons de voir mentionnée dans les synergies, la volonté de mener une stratégie concertée d’accès au logement pour les personnes les plus précarisées. Nous voyons que figure notamment la campagne ‘propriétaires solidaires’ mais nous nous étonnons de ne pas voir figurer un autre outil qu’est l’Agence immobilière sociale. Or c’ est un outil efficace permettant la mise à disposition de logements privés à des bénéficiaires d’allocataires sociaux. Un outil qui a l’avantage de jouer le rôle d’intermédiaire entre le locataire et le propriétaire. Cet outil nous semble devoir être davantage développé à Liège comme il l’est dans d’autres villes.

Nous avons jusqu’à présent parlé des outils pour aider les personnes étant à la rue. Nous pensons toutefois que la prévention du sans-abrisme et l’inclusion des publics fragiles dans la société a également toute son importance. Au-delà du sans-abrisme ou en amont de celui-ci, il y a une population qui vit en équilibre. Pour l’empêcher de basculer, il y a un travail important qui est accompli par le CPAS, quand il en a les moyens, mais aussi par le secteur de l’associatif.

Nous demandions en mars dernier plus de soutien au secteur associatif, mettant en avant l’importance de leur travail en matière de prévention et d’insertion.

Nous constatons aujourd’hui que plusieurs de ces associations ont perdu une partie des subventions qui leur étaient accordées via le relais social pour la prévention et l’insertion.

Nous pensons à des emplois utilisés pour le suivi de personnes en risque de perdre leur logement et pour des activités d’insertion permettant de socialiser un public isolé et fragilisé mais aussi à des associations dont les activités artistiques et culturelles permettent de stabiliser un public fragilisé pour qui la rue est un danger permanent.

Lutter contre le sans-abrisme et la précarité, c’est aussi, pour Vert Ardent, lutter contre l’isolement, le décrochage psychique et le débordement face aux contraintes administratives qu’impose notre société. Ces asbl ont un rôle préventif très important pour réduire le nombre de personnes qui demain pourront être à la rue mais aussi pour éviter qu’elles n’y retournent. Nous déplorons que leur travail ne soit pas davantage reconnu et soutenu financièrement dans le cadre de la politique sociale liégeoise.

Par ailleurs, nous nous réjouissons du travail mené par l’Echevine des solidarités quant à l’organisation de la table alimentaire liégeoise. A l’appel de l’associatif, nous demandons à ce que les distributions de colis alimentaires, reposant actuellement sur un grand nombre de bénévoles soient professionnalisés.

Dès lors, si aujourd’hui, de nombreux points APE sont transférés du CPAS vers la ville mais aussi vers des intercommunales et des asbl parapubliques, nous nous demandons s’ils ne pourraient être d’avantage utilisés comme un soutien à des asbl, peut-être pour la distribution de colis alimentaire ou pour du travail de prévention et d’insertion.

Enfin, puisque nous parlons ce soir de synergies et puisque l’insertion professionnelle est essentielle dans une politique sociale, nous voudrions aussi évoquer les nombreux transferts d’articles 60 du CPAS vers la ville. En effet, le CPAS de Liège distribue de nombreux articles 60 à la ville et à d’autres structures dont des intercommunales pour faire du travail généralement peu qualifié mais également avec une offre de tâches à accomplir peu diversifiée, en échange de quoi les allocataires sociaux récupèrent leur droit au chômage. Nous estimons qu’il s’agit là d’une vision utilitariste des articles 60 et souhaitons que ce mécanisme soit davantage utilisé comme un outil formateur pour le bénéficiaire et que des attributions puissent se décider d’abord en fonction des besoins et des ressources de l’allocataire social avant les besoins de la structure. Nous déplorons ainsi par exemple que, pour cette année, un poste article 60 ait été retiré à un centre culturel alors que celui-ci permettait de former des bénéficiaires au métier de régisseur ou encore à une structure qui proposait un poste de jardinier.

Pour conclure, je finirai avec des chiffres. Les statistiques du Service public de programmation Intégration sociale nous indiquent que la ville de Liège a le plus haut taux de Wallonie de bénéficiaires du revenu d’intégration sociale en proportion de sa population avec 5.62%.

Il est indéniable que la précarité est un phénomène important à Liège et nous devons utiliser tous les moyens disponibles pour aider une population fragilisée à sortir la tête de l’eau, à s’autonomiser ou parfois simplement à ne pas descendre plus bas. Pour cela, nous ne pouvons pas faire jouer les vases communicants entre plusieurs approches de la précarité, elles sont toutes essentielles. Au contraire, il est absolument nécessaire d’augmenter les moyens pour multiplier les portes de sortie.

Au vu de l’ampleur de la précarité et de l’afflux de sans-abri, force est de constater qu’aujourd’hui la politique sociale à Liège est encore largement sous-financée. Nous demandons donc encore davantage de financement pour répondre aux besoins du secteur. Nous demandons également davantage de concertation avec l’associatif pour la mise en place d’une politique sociale globale abordant la précarité sous ses angles multiples.

Intervention du 17 décembre 2019 de Vert Ardent

 

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