Je me suis penchée attentivement sur les différents éléments de ce point portant sur la « Passation d’un marché ayant pour objet la fourniture de viandes et charcuteries fraîches » et mon incompréhension a été totale au moment de lire la phrase suivante, particulièrement mise en avant dans la section « critères d’attribution » du cahier spécial des charges :

« Les critères d’attribution sont fondés sur les plans environnementaux, sociaux, économiques, d’alimentation durable, de la qualité des produits (tel que décrit dans les 3 critères d’attribution des lots du marché, repris dans le cahier spécial des charges) ».

Il est difficile, en 2020, de faire fi des critiques formulées à l’encontre de la viande. Sur le plan de l’environnement et de l’alimentation durable, on sait que la viande bat tous les records négatifs. Je m’inquiète aussi de ne pas voir apparaître un critère essentiel face à l’alimentation : la santé.

En plus d’être polluante, la viande et notamment la charcuterie n’est pas toujours bonne pour la santé, surtout lorsqu’elle est consommée en trop grandes quantités. La Belgique est d’ailleurs loin de faire figure de bonne élève : elle se classe 4ème au classement des pays européens en termes de consommation de viande. On retrouve la viande à table dans 97% des ménages de notre pays. En 2018, le Belge en a consommé en moyenne 159 kg, contre 30 kg en 1919. Cette consommation excessive provoque diverses maladies, dont les cancers pour la viande rouge et la charcuterie, comme l’a répété plusieurs fois l’OMS. Nous devons tendre vers une alimentation plus durable.

Heureusement, tous les chiffres ne sont pas forcément décourageants : 33% des Belges consomment 1 repas sans viande par semaine, et cette tendance est à encourager. Avec Pierre Eyben, nous vous interpellions le 30 septembre dernier déjà, pour mettre sur pied une règle qui imposerait un repas à base de protéines végétales par semaine dans les écoles. À cette occasion, nous vous avions déjà rappelé les désastres engendrés par la consommation de viande.

Les enfants de 3 à 13 ans, selon Greenpeace, mangent deux fois plus de viande que le nécessaire. Je me suis pliée à l’exercice d’aller voir les menus des enfants scolarisés dans les écoles de la Ville de Liège pour le mois de juin. Sur 19 jours, 18 repas sont à base de viande ou de poisson. Sur la semaine du 15 juin, nous avons par exemple de la viande ou du poisson chaque jour, et aucun repas à base de protéines végétales : blanc de volaille, mix grill, porc pané, cuisse de poulet et pour finir du poisson pané. Le seul repas sans viande servi au cours du mois de juin a été des pâtes au fromage. Par ailleurs, certains repas ne proposaient que du porc, ce qui est en plus particulièrement excluant pour certains publics.

La cantine scolaire est un lieu idéal pour déclencher et encourager une alimentation plus durable. Aussi incompréhensible que cela puisse paraître, des études ont démontré que de nombreux enfants étaient incapables de reconnaître certains fruits et légumes : un enfant sur trois est incapable d’identifier un artichaut, une figue, une courgette ou un poireau et seuls 13% des enfants interrogés sont parvenus à identifier la betterave. L’école publique est aussi là pour remédier à cela.

Cette interpellation avec mon collègue Pierre Eyben avait aussi été l’occasion de rappeler qu’il faudrait réduire la consommation de viande de 50% d’ici 2050. Et nous en sommes encore très loin. Il est grand temps qu’une prise de conscience collective s’opère. Comme pour beaucoup de choses, la Ville a un rôle à jouer, et non des moindres. L’alimentation doit tendre vers le local, le niveau local est donc particulièrement bien placé dans ce domaine.

Il est donc désespérant de voir apparaître un énième marché public qui concerne la viande et aucun marché public vers une alimentation végétale et locale.

La viande provoque aussi d’énormes ravages dans les pays du Sud. Et, dans tout ça, je n’ai même pas encore parlé du bien-être animal. La Ville prend enfin la question du bien-être animal au sérieux, comme l’illustrent la création, nécessaire, d’un échevinat du bien-être animal et la récente adoption du règlement sur le bien-être animal.

Malheureusement, beaucoup de personnes opèrent encore une distinction entre la viande qu’ils ont dans leur assiette et les animaux tels le chien ou le chat qui vivent avec eux. Et pourtant, les animaux élevés pour leur viande et les animaux domestiques sont tous des être vivants doués de sensibilité. J’aimerais, très personnellement, que l’on réfléchisse un peu plus à ce double traitement, à cette dissociation qui n’a en réalité pas lieu d’être.

Tendant moi-même vers le végétalisme, je ne cautionne évidemment pas le principe des marchés de ce type mais je me rends bien compte aussi qu’ils restent encore très ancrés dans les moeurs et que la société doit évoluer à un rythme soutenable pour toutes et tous. L’intégration du respect du bien-être animal dans les marchés publics me paraît donc être un pas indispensable à l’heure de rendre notre alimentation plus durable et plus végétale.

Ces dernières années, les scandales se multiplient au sujet des conditions d’élevage et d’abattage des animaux destinés à la viande. Je crois que tout le monde ici peut s’entendre sur le fait que ces conditions d’élevage et d’abattage doivent être un critère important dans de tels marchés publics, tant pour les animaux abattus que pour toutes les personnes travaillant dans cette industrie.

Revenons à nos moutons, si j’ose dire : Liège pourrait en faire plus dans la promotion de l’alimentation végétale, en s’inspirant, pourquoi pas, d’autres communes. À Gand, le jeudi végétarien est en place depuis plus de 10 ans, et à Bruxelles depuis 2011. 10 ans c’est long ; 10 ans, c’est justement l’âge où l’on peut apprendre à l’école l’impact de la viande. 10 ans et rien n’est encore apparu à Liège pour promouvoir un autre type d’alimentation.

Liège met souvent en avant l’Eurégio. Là aussi, les exemples de bonnes pratiques sont légion : Maastricht et Aachen sont connues pour leur restauration et leurs commerces prônant une végétale. Tout cela est mis en avant et permet un tourisme spécifique. Les restaurants et magasins d’alimentation végétale se multiplient à Liège aussi, et leur travail salutaire mérite d’être mis en avant.

Il faudrait que les autorités publiques de Liège se mettent elles aussi à la page et rejoignent des politiques telles que celles de la Ville de Gand, qui permet à son échelle de lutter contre le réchauffement climatique et de prendre en considération les animaux, grâce à diverses actions telles que des campagnes de sensibilisation des habitants (tracts, réunions d’information, etc.) sur les bienfaits d’une alimentation plus végétale, l’instauration du menu végétarien le jeudi dans la restauration collective publique, la distribution de cartes de la ville indiquant où l’on peut manger végétarien, etc. Même pas besoin de partir d’une page vierge donc, il suffit juste de suivre les bons exemples montrés ailleurs.

Ceci étant dit, il faut également s’attarder sur les propriétés de la viande qui sera commandée par la Ville de Liège. Il est important, comme le demande Vert Ardent dans son programme, de favoriser le recours aux entrepreneurs locaux et aux entreprises d’économie sociale, et d’encourager l’utilisation de matières premières produites localement.

Le secteur de l’agriculture belge est en proie à de grandes difficultés, notamment en en raison du modèle économique de l’industrie agro-alimentaire. En tant que pouvoir adjudicateur, la Ville de Liège peut jouer sur les critères d’attribution et la division en plusieurs lots, par exemple, pour favoriser les petits producteurs et les circuits courts et cesser le recours à des grands acteurs de l’industrie agro-alimentaire. Vu le caractère européen du marché public, on peut craindre de voir arriver dans les assiettes de la Ville de la viande qui aurait parcouru de très nombreux kilomètres.

En guise de conclusion, je soulignerais qu’il est grand temps de voir des marchés publics où Liège s’engagera davantage dans la lutte pour le bien-être animal, l’environnement et la santé de ses citoyens et contre le réchauffement climatique, et de mettre sur pied des initiatives en faveur de l’alimentation durable.

N’attendons pas la semaine des quatre jeudis pour instaurer le jeudi végétarien !

Laura Goffart pour Vert Ardent

Intervention du Conseil Communal du 29 juin 2020

 

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