• Si le Capitaine n’a pas de boussole, comment peut-il garder son cap ?

Si le Capitaine n’a pas de boussole, comment peut-il garder son cap ? Voilà la question que nous soulevions fin janvier quand nous étions toujours sans nouvelles du budget 2023 de la Ville. Nous avons plusieurs fois exprimé notre grand mécontentement et notre vive inquiétude d’entamer l’année sans budget, d’autant plus dans la situation de surendettement de la Ville. 

Les dernières années n’ont pas épargné la Ville, soumise à de vives crises exogènes dont la cyberattaque qui laisse des traces profondes. Force est de constater cependant que sa résilience est un enjeu crucial, et à court terme. Il n’est sain pour personne, et vous le partagerez avec nous, que la ville ne soit plus pilotable selon les formes prescrites pendant deux ans. 

Ce n’est pas sain pour la décision politique. Alors que l’année est largement entamée, le Conseil est amené à se positionner sur le budget, càd les intentions politiques pour l’année. Nous le faisons en l’absence de comptes 2020 et 2021, en l’absence du rapport administratif 2021, en l’absence d’un plan de gestion actualisé prévu pour la fin juin, et en l’absence d’un plan d’embauche. Bref, nous le faisons dans la brume.

Nous l’avons fait avec énormément de sérieux, mais aussi avec énormément de précaution puisque c’est donc un budget bien fragile qui nous est présenté. Il est difficile de le raccrocher à la réalité des services comme à la situation financière. Il y a fort à parier que le Cahier des modifications budgétaires de juin, présenté, on l’espère, avec les comptes, bouleversera déjà le budget présenté aujourd’hui si les estimations du mali de 2021 (40 millions) se révèlent exactes. 

Je voudrais souligner aussi deux effets très concrets de la situation.

  • La Ville est en retard d’enrôlement fiscal. 

Ça la fragilise, mais ça fragilise également les acteurs économiques sur son territoire, en particulier les plus petits. Depuis avril 2022, la Ville a envoyé uniquement le courrier demandant à percevoir la taxe urbaine ménages. Application informatique en défaut. nouveau logiciel pas encore en place. Le directeur financier nous dit : “on sait qui doit combien, mais on ne sait pas envoyer le courrier”. Le collège ni coupable ni responsable d’un échec informatique. Les Liégeois ne le sont pas plus. La ville est donc actuellement privée d’une trésorerie. Or des fournisseurs se plaignent régulièrement des délais de paiement de la ville. La ville a besoin de rentrer de l’argent dans les caisses. Elle sera privée de recettes si, scénario catastrophe, elle dépasse le délai de retard possible de 3 ans. En plus de plomber la trésorerie de la ville, imaginez les effets sur la possibilité de maintenir le personnel et les services. Ensuite, le report de l’enrôlement est très problématique pour les citoyens, commerces, bars ou autres acteurs économiques soumis à ces taxes.  Ils ont remis certes un bilan plus léger pour 2022 et ils inscrivent en 2023 la taxe prévue annuellement. Enrôler deux fois la même année, c’est donner des allures de double taxe. Pendant la crise économique, pour ceux dont le chiffre d’affaires peine – typiquement les commerçants dont nous parlions hier – ce décalage, c’est le baiser de la mort.

  • Le non-remplacement sauvage du personnel

Le second effet dont je voudrais parler, c’est celui sur les services communaux. En 2022, le Collège a fait un non-remplacement sauvage du personnel. Tout qui démissionnait, était en congé maladie, partait à la pension n’a pas été remplacé. Je le qualifie de sauvage parce qu’il a été appliqué de manière unilatérale (hormis fonctions normées et emplois subsidiés), et qu’une politique du personnel n’a été débattue au sein de ce Conseil. Les services concernés ont dû s’accommoder de la situation. Le directeur général le dit dans son rapport Art 12 : cela s’en ressent sur le fonctionnement des services. Les agents communaux sont inquiets, aussi bien sur leur devenir que sur leurs conditions de travail, y compris le télétravail, qui en aide certains mais en décroche d’autres et ne facilite ni l’ambiance, ni la cohésion, ni la gestion d’équipe. Si de l’extérieur choisir de ne pas remplacer peut avoir l’air d’une gestion neutre évitant le licenciement, elle est un choix politique avec des effets pour la population comme pour le personnel que nous voulons connaître et débattre. La Ville fait face à de nombreux enjeux : reconstruire après les inondations, avoir une première ligne sociale sur le terrain, entretenir et rénover ses bâtiments, leurs chauffages ou encore leurs toilettes, adapter la ville au dérèglement climatique, la végétaliser, permettre au CPAS d’absorber les demandes en aide sociale, etc. Qu’est-ce qui est prioritaire ? Quels seront les effets de ces non-remplacements ? Quels services sont concernés ? La Ville va-t-elle diminuer son nombre de projets ? Allez-vous déléguer à de la consultance ce que vous ne pourrez plus faire ? Comment se combineront ces changements avec les enjeux et avec la charge de travail ? Des questions auxquelles nous n’avons toujours pas de réponse aujourd’hui. Nous demandons de la transparence. Nous savons que personne ici ne se réjouit, mais les travailleurs et les Liégeois méritent de la transparence.

  • Un budget est toujours politique : vers où va Liège ?

Venons-en à l’exercice budgétaire à proprement parler.

La situation catastrophique dirige toute l’attention vers l’équilibre et le maintien du navire à flot. Et vous ne dites plus quelle ligne politique vous suivez, si ce n’est rentrer dans les cases et répondre aux contraintes. Mais, tout aussi contraignant que soit l’exercice, la manière de le réaliser et les choix posés concernant la répartition des enveloppes sont toujours politiques. L’exercice budgétaire n’est jamais un exercice neutre ! 

Contrairement à la FWB, vous n’appliquez pas d’indexation des subsides : autrement dit, l’aide diminue aux grands opérateurs culturels, foyers culturels, etc. Or tous ces acteurs sont soumis à l’inflation et à l’indexation aussi. Ce n’est pas du maintien de subsides, ce sont des diminutions si on regarde en %. 

La dotation pour le CPAS augmente de près d’1 M. Mon collègue Matthieu Content a développé ce point : cette augmentation ne couvre pas l’inflation des Revenus d’intégration sociale. La Ville met en difficulté son CPAS quand la solidarité est la meilleure des préventions pour la population fragilisée par les différentes crises.

Le Sport en prend un coup également. diminution budget centres sportifs : 618 k à 560 k (-58k) + augmentation tarifs piscine de 30 000 euros. 

Autre outil budgétaire qui se développe : l’appel à projet. En culture comme en politique jeunesse, vous décidez d’y recourir plus souvent. Hier, Mr le Bourgmestre a déploré que la Région wallonne demande aux communes de passer par des appels à projets car, avez-vous dit, “cela dilue les moyens”. Oui et c’est par ailleurs beaucoup de charge administrative sans certitude d’obtenir un financement. Les acteurs associatifs et culturels sont éprouvés par cette dérive contrôlante qui leur demande une surcharge de travail sans offrir la stabilité des financements structurels. 

Nous souhaitons mettre en avant un autre déséquilibre, dans la politique de mobilité cette fois. Nous nous réjouissons de voir 611 000 euros pour de nouveaux box vélos. Les riverains en demandent, c’est une action concrète contre le vol. En revanche, quel déséquilibre dans cette ville : 75 euros l’abonnement annuel + 25 euros de caution de carte d’accès pour utiliser 1,5 m2 d’espace public contre 3 cartes riverains gratuites, soit 45 m2 environs ! Liège est la seule commune de Belgique francophone à ne pas faire payer les cartes riverains (donc non pas la possession d’une voiture, mais le fait de la laisser en voirie). La disparité est flagrante ! 

Enfin, nous cherchons toujours le fameux parc à Rocourt, promis aux habitants. Il n’est pas dans ce budget, les Ardentes ne sont pas une entreprise de parcs et jardins. Qui a la responsabilité de créer ce parc et d ele rendre convivial tout au long de l’année pour les habitants ?

En revanche, nous nous réjouissons que, grâce au coup de pouce de la RW, Liège se lance dans les potages-collations et repas gratuits. Nous avons déjà eu des débats houleux dans ce Conseil quand Vert Ardent défendait la mesure en 2018. Elle avance et c’est positif pour nous. Il s’agit ici d’un financement de 750 k euros, dont la part de la ville est de 328k. Nous recevons trop de témoignages de boite à tartines vides. Cela fragilise la santé et le bien être des enfants. En Belgique, 1 enfant sur 10 saute un repas. Or c’est une grande préoccupation des parents. Ce que nous voulons, c’est que les parents, en déposant leurs enfants à l’école, puissent souffler : si les fins de mois sont difficiles, une bonne alimentation est déjà un souci en moins. assurer que chaque enfant mange suffisamment. L’école, c’est l’endroit où chaque enfant se rend 5 jours sur 7 : les pouvoirs publics y touchent tout le monde. Aide très concrète dans le budget d’un ménage. Le souhait de VA, c’est une mesure universelle donc dans un maximum d’écoles. Aujourd’hui, ça reste accessible uniquement à un enfant sur 10 dans le fondamental. Nous continuerons à demander une amplification de la mesure. 

Nous voyons positivement une inclinaison de la politique culturelle vers plus de soutien à la culture dans toute sa diversité. Ma collègue Elena Chane-Alune développera cela demain.

L’indépendance énergétique est une priorité pour Vert Ardent, et un gisement d’économie ! La volonté de rénover énergétiquement le complexe ilot st-georges par le biais de la PIV est également une bonne nouvelle. Mon collègue Pierre Eyben a analysé les coûts énergétiques. 17,7 M gisement d’économies énorme ! Très visible dans l’enseignement où les dépenses de fonctionnement sont littéralement phagocytées par les factures d’énergie, privant les équipes éducatives de matériel sans doute bien nécessaire pour les écoles. Depuis 2005, nous avons connu en moyenne une baisse des émissions de C02 pour nos bâtiments de moins de 2% par an et au départ d’une situation très mauvaise. Travaillons à sortir de cette dépendance.  Installons des pompes à chaleur couplées à des panneaux photovoltaïques par exemple. Ou des systèmes valorisant la biomasse produite localement. Un plan de vannes thermostatiques intelligentes est prioritaire pour diminuer ces coûts. Enfin, la Ville doit aussi se muer en producteur d’électricité.  Fixons-nous un objectif ambitieux de m2 installés chaque année.  Pourquoi ne pas étudier également sérieusement l’installation d’éoliennes sur des sites plus industriels de la Ville (ile Monsin, parc scientifique,…).

Travaillons notre indépendance informatique ! Liège se rend toujours plus dépendant d’UN acteur unique, Microsoft, désormais en charge de nos comptes, de la gestion de nos données (via cloud), de notre messagerie et des systèmes d’agenda, de notre suite bureautique,…

A cet égard, nous trouvons très prometteur le projet de régie communale autonome, et demandons une bonne représentation démocratique au sein de la structure afin de pouvoir continuer à exercer le contrôle démocratique. 

Nous insistons enfin sur les opportunités de financement des autres niveaux de pouvoir (objectif proxi, soupe etc) mais sommes également en faveur d’une simplification de l’accès aux financements de transferts (droit de tirage, etc).

  • La situation budgétaire sera particulièrement critique à partir de 2025

Pour terminer, nous voudrions quand même souligner que cette année, en fin de compte, est encore une “bonne année”. 

le budget 2023 s’en sort avec un boni estimé de 8 M. C’est atteint par une situation exceptionnelle, à savoir une tranche Oxygène particulièrement élevée (98,5M) et des recettes de fiscalité gonflées par un retard de versement des autorités supérieures de l’IPP (14/12e perçu en 2023) et par l’inflation.

Pour les années suivantes, ces recettes vont dégringoler. Oxygène : après une tranche généreuse de 118,2 M en 2024, la dégressivité sera brutale dès 2025, 59 M (- 40 M par rapport à 2023) et 36 M en 2026 (-62,5 M). Les recettes JCDecaux sont toujours en régression alors que les Liégeois subissent toujours autant de publicité.

De l’autre côté, dans les dépenses, les CR atteignent 63 M cette année, et vont continuer de crever le plafond (69,5 M en 2025 ; 78 M en 2026). D’une part, les recettes vont être en diminution et de l’autre, les dépenses vont augmenter. Liège va connaître un déséquilibre catastrophique.

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