Le cas de M. secoue les internautes. Malgré une très mauvaise santé physique, ce Liégeois refuse d’aller à l’hôpital. Devant l’émoi public suscité par cette situation, notre bourgmestre, Monsieur Demeyer, prône la mise en observation des personnes toxicomanes. Mais que résoudrait-elle ? M. est interné 10-15 jours. La polémique retombe. Et puis ? Il retrouvera la rue, et sa confiance envers les institutions hospitalières ne sera pas meilleure. Réfléchissons. Si ces personnes ne veulent pas aller aux soignants, et si les soignants venaient à elles ?

L’envers des mises en observation

La question est complexe : face à la détresse évidente d’une personne, quelle est notre responsabilité, que nous soyons simples citoyens ou élus politiques, quand elle refuse nos mains tendues ?

La solution, selon Willy Demeyer, est la mise en observation de Monsieur. Il est interné : circulez, il n’y a plus rien à voir (en rue). En Belgique, la loi du 26 juin 1990 prévoit, dans certains cas, la mise en observation des personnes malades mentales, c’est-à-dire une mesure protectionnelle de placement obligatoire en institutions psychiatriques. Ces cas sont précis :

  • l’état de santé mental est défaillant
  • la personne représente un danger pour sa santé ou sa sécurité, une menace grave pour la vie ou la sécurité d’autrui
  • la personne refuse de se soigner.

 

Monsieur Demeyer propose en solution miracle d’étendre la mesure aux personnes toxicomanes. J’y vois deux écueils :

  1. Le manque de lits disponibles pour les mises en observation dans les hôpitaux psychiatriques de la région.

Quand la situation est considérée urgente, la Justice peut imposer la prise en charge, équivalant parfois à sortir plus tôt une autre personne de traitement. Auparavant, les hôpitaux anticipaient le besoin de lits pour mise en observation et les gardaient disponibles. Cependant, la ministre Maggie de Block a lié quotas d’occupation des lits et obtention de financement. Autrement dit, aucune institution n’a intérêt à garder des lits vides. Pendant que le politique n’alloue pas les moyens suffisants aux soins de santé mentale, les tensions augmentent entre le secteur judiciaire et médical, les conditions de travail se détériorent et les personnes concernées ne sont pas suivies comme nécessaires.

  1. Une confusion entre internement et sortie de la rue

Si les mises en observation ont des conditions bien déterminées, c’est parce qu’elles se définissent par une privation de liberté. Il faut une raison importante, autre que notre pitié, aussi profonde soit-elle. Une mise en observation se fait dans un hôpital psychiatrique, et est temporaire. Les hôpitaux concernés ne sont pas tous spécialisés en assuétudes. Que va-t-on y proposer à un usager de drogues qui n’est pas en demande de traitement ? Nous ne pouvons pas forcer quelqu’un à avoir la vie que nous voulons pour lui. En revanche, nous avons comme responsabilité d’avoir assuré l’accès à ses droits, et ça peut se faire autrement que par la contrainte.

 

Que faire du refus de se soigner ?

Je ne connais pas M. Je ne connais pas son parcours de vie. Je ne parlerai donc pas à sa place. En revanche, il est clair qu’il est confronté à des problèmes de santé physiques. De nombreux acteurs de santé travaillent à améliorer l’accès aux soins en Belgique, et ils relèvent parmi les causes d’exclusion ou de refus des soins chez les usagers de drogue ou chez les sans abris les éléments suivants : pas de couverture de sécurité sociale, pas de médecin traitant, mauvaise connaissance de leurs droits et du système de santé. Selon Médecins du Monde, cette distance avec les soins de santé résulte de la complexité administrative belge, d’une offre de soins inadaptée aux besoins du public de rue, et d’une méfiance vis-à-vis des hôpitaux ou des médecins en raison d’expériences négatives avec ceux-ci.

Partons de ces freins. Puisque certains ne veulent pas aller à l’hôpital, et si les soignants allaient à eux ? Les écologistes soutiennent et réclament depuis de nombreuses années que Liège développe une ligne de soins de rue, ce que les professionnels de la santé appelle la ligne intermédiaire ou la ligne 0,5 (c’est-à-dire une ligne de soins avant la « première ligne » que sont les hôpitaux, les maisons médicales ou les médecins traitant). Toutes les grandes villes devraient en disposer.

 

La ligne 0,5 : la santé en rue

Concrètement, il s’agit de travail mobile : les soignants sont en rue, leur local est dans le lieu de vie des personnes, voire … est mobile (un médibus, bus aménagé en cabinet médical, par exemple). Tout ce qui peut entraver l’accès aux soins est réduit au maximum : pas de frein administratif ou financier, pas de rejet du patient pour cause de consommation d’alcool ou de drogues.  Au cours des rencontres, des soins infirmiers et médicaux sont prodigués, le dialogue et la confiance se recréent étapes par étapes. L’objectif final est bien de réintégrer le patient dans la première ligne de soins à terme.

La Ville s’apprête à faire un premier pas en ce sens par l’engagement d’un infirmier de rue. Certains services, comme la Réduction des risques, prodiguent également des soins de base. Nous soutenons la création d’un véritable service, multidisciplinaire, avec médibus et mise en réseau avec les services déjà présents à Liège. Monsieur le Bourgmestre se dit limité par les volontés des Parquets et des Hopitaux. Voilà une mesure qui est de la compétence de la Ville.

Il n’existe pas de solution miracle. Mais nous n’avons pas à interner des personnes comme au XVIIe siècle, sous prétexte qu’elles consomment des drogues illégales et qu’elles n’ont pas de domicile. Nous avons à assurer que chaque Liégeois et chaque Liégeoise peut accéder facilement aux soins de santé. Le travail en rue donne de vrais résultats. Ces soignants de rue sont un chaînon nécessaire parmi de nombreux autres pour sortir de la précarité, dont le principal reste le logement.

Caroline Saal
Cheffe de groupe Vert Ardent

Pour plus d’informations, voir notamment le Livre vert de l’accès aux soins en Belgique

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