Nous traversons une crise sans précédent, très douloureuse pour les acteurs culturels. 

On le sait, la distanciation sociale exigée par les conditions sanitaires est antinomique avec l’essence même des activités et des structures culturelles. La pandémie a mis en évidence l’extrême fragilité de ce secteur, et en même temps, la diversité des situations vécues en termes de statut et d’envergure.

La fermeture était pourtant une mesure essentielle, courageuse et responsable en termes de santé publique en plein cœur des 2 vagues de contamination. Il n’est pas question d’en douter, comme nous ne pouvons douter non plus de la souffrance psychologique engendrée par ces longs mois sans laisser la moindre possibilité aux liégeoises et liégeois de se divertir, s’aérer la tête, les laissant sans cesse confrontés au virus.

Mme la première échevine nous annonce un budget 2021 qui veut donner de l’espoir et de la lumière. Nous en avons tous bien besoin.

Pour la lumière, nous sommes heureux d’apprendre que le budget alloué à la culture en 2021 permettra :

  • De garantir les subventions directes et indirectes aux grandes institutions culturelles : Opéra, Orchestre, Théâtre de Liège, musées et centres culturels ;
  • De maintenir des subventions directes pour les événements culturels en croisant les doigts pour qu’ils puissent s’organiser. Ce budget consacré aux événements s’élève à 619.000 euros ;
  • De financer la nouvelle manifestations place aux artistes pour 100.000 euros ;
  • Et de soutenir les petites structures culturelles à hauteur de 50.000 euros.

Quelques observations d’importance venant relativiser ces points positifs :

1 – Des conseillers mal outillés pour analyser le budget

Lors de la commission Budget, j’ai demandé si le Collège avait la possibilité de délimiter le périmètre du budget octroyé aux activités culturelles et de nous donner un montant de dépenses culturelles par habitant. Il me semble en effet que c’est un indicateur intéressant à suivre.

L’échevin a concédé ne pas être en possession de cette information pour ce qui concerne les dépenses engagées par la Ville de Liège.

J’ai donc fait le travail moi-même au départ d’un document budgétaire en format électronique PDF. À cet égard, je rejoins les critiques d’autres conseillers estimant, d’une part, qu’il est dommage que la ville ne dispose pas d’une comptabilité plus analytique en fonction des compétences échevinales et que d’autre part, le format du budget est inadapté aux analyses que devraient en faire les conseillers.  En 2020, il est inconcevable qu’un logiciel de comptabilité ne permette pas de faire des extractions comptables sous la forme de tableur.

Bien que n’étant pas outillé, j’ai pu déterminer qu’il y avait 241 articles budgétaires liés à la Culture dans le budget ordinaire, pour un montant total de 21 395 250 €, ce qui ramené sur le total des dépenses représente 3,8% du budget ordinaire total et ramené sur le nombre d’habitants 108 euros par habitants. Je le dis et le répète, il est dingue que cela soit une conseillère de l’opposition qui vous l’apprenne.

2 – Le poids des grandes institutions dans le budget

Pour comprendre cette somme qui dépasse la moyenne de la communauté française, tournant aux alentours de 75 euros/habitants, on doit rappeler qu’il y a 3 grands types de structures culturelles :

  • Les grandes institutions ;
  • Les entreprises privées culturelles ;
  • Les petites structures culturelles.

En tant que grande ville wallonne, Liège héberge un nombre important de grandes institutions que sont l’Opéra, l’Orchestre philharmonique, le Théâtre de Liège, le palais des congrès, les musées etc. et qu’à ce titre, il est normal que les dépenses culturelles par habitant soit bien supérieures à celui des petites communes de Wallonie. Durant le XXème siècle, Liège s’est doté d’infrastructures culturelles lourdes et coûteuses entraînant des frais de fonctionnement et d’entretien de plus en plus importants. Une priorité s’est alors imposée : la sauvegarde du patrimoine avec des investissements massifs destinés à la restauration des bâtiments. Difficile de faire machine arrière. Les grandes institutions font à présent partie de notre paysage culturel. Le soutien qu’on leur accorde devrait toujours être conditionné à encore plus de démocratisation et d’accès à la culture orientés vers de nouveaux publics, ce que certaines grandes institutions font très bien.

Le budget comprend 121 articles budgétaires attribuables aux grandes institutions, ce qui représentent près de 60% des dépenses ordinaires de culture. Cela pèse donc très lourdement sur le budget culture de la Ville.

Si on ne peut se soustraire aux dépenses de personnel, de fonctionnement, de transfert et de dettes relatives à ces grandes institutions, les variables d’ajustement ne peuvent s’opérer que sur les 40% de budget de dépenses restant.

3 – Un budget structurellement inéquitable

Même si nous nous réjouissons que le Collège ait pris conscience de l’importance de soutenir la culture dans son plan de relance 2020, le budget reste structurellement inéquitable. Comme aime à le dire la première échevine, il y a de la « lumière » dans les ténèbres mais plus pour certains que pour d’autres. Je prends 2 exemples emblématiques pour illustrer mon propos.

Plein feu : lumière sur les Ardentes dont on comprend dans ce budget 2021 qu’on leur a bien promis un subside récurrent. La puissance publique décide donc d’y investir 200.000 euros/an, soit 70% des dépenses totales que la ville consacre aux musiques actuelles et 32% de son budget événementiel.

C’est énorme pour une ville « fauchée » et aussi  très risqué. En effet, on est au cœur de ce que l’on appelle le capitalisme culturel, où se manifeste l’appétit de groupes capitalistes tels que Fimalac, avec une stratégie de concentration visant à racheter des marques locales comme la marque Ardentes. L’objectif de ces grands groupes n’est pas de préserver mais bien de se substituer à un écosystème constitué d’une myriade d’opérateurs culturels habitués à se partager la chaîne de valeur  dans un contexte d’interdépendance.

Le phénomène de concentration autour de grands groupes privés dans le secteur de l’industrie culturelle ouvre la voie à des pratiques préjudiciables à un secteur indépendant qu’il convient de protéger aussi : une inflation des cachets artistiques, la recherche d’économies d’échelle et de prise de contrôle de toute la chaîne et de valeur, pouvant aller jusqu’aux déficits couverts par le financement public. Autant d’écueils à éviter auxquels il faut rester attentif.

Mon propos n’est pas de ne pas soutenir le projet Ardentes. Mon fils de 15 ans m’en voudrait terriblement. Néanmoins, la ville pourrait  le faire dans une plus juste mesure, certainement plus équitablement que vous ne le faites compte tenu de la nature même de leur activité qui se veut rentable.

Le principe pourrait être le suivant : la puissance publique qui subsidie est donc en droit d’avoir des exigences. Des défis comme la responsabilité écologique liée à l’organisation d’un grand événement (mobilité, propreté, impact écologique), la lutte contre les discriminations et fractures sociales ( politique tarifaire adaptée aux plus démunis), ainsi que le combat pour l’égalité et l’inclusion de genre, tant dans le festival que sur l’affiche pour nos jeunes devraient être discutés et conventionnés avec l’entreprise privée.

Ce qui n’a pas été le cas en 2020 puisque le montant de la subvention a été liquidé à la date du 2 février 2020, avant la pandémie mondiale sans qu’aucune convention ne passe devant le conseil communal.

Le branding territorial de Liège ne peut pas se résumer à 5 jours dans l’année. Une année normale sans covid, à Liège, ce sont des bars dans le carré, des concerts, des festivals petits ou grands de tout type musical, des représentations théâtrales, des expos de tout type d’art, des cinémas, des fêtes de quartier, des carnavals, des ateliers créatifs, des centres culturels, des initiatives émergentes et des pratiques culturelles plus traditionnelles. C’est tout un écosystème où chacun est en droit de se sentir soutenu.

Ce budget est structurellement inéquitable parce que : 

  • Le montant accordé au soutien aux petites structures culturelles a été divisé par 4 par rapport à 2020 alors que 2021 s’annonce déjà très sombre.
  • La répartition de l’enveloppe était en partie contestable en 2020. Les structures culturelles visées étaient principalement des lieux de diffusion alors que d’autres petites entités ont également besoin de soutien.

Il aurait fallu encore plus de lumière, Mme Defraigne, pour éviter une guerre des pauvres.

Nous sommes déjà en train d’espérer que le CMB permettra d’ajuster la situation.

4 – Un guichet unique pour l’octroi des subsides

Enfin, j’invite l’échevin de la culture de Liège d’aller jeter un oeil sur le site de la Ville de Charleroi, où son homologue et président de parti, Paul Magnette,  a mis en place un guichet unique pour l’octroi de subsides culturels ainsi qu’une charte liant les opérateurs à la Ville de Charleroi.

Il est intéressant de noter que les Ardentes n’y passent même pas la rampe car la première question est : Êtes-vous une ASBL ou une Association de Fait ?

Ce guichet unique fait partie du programme politique de Vert Ardent ainsi que des demandes explicitement formulées par le collectif Solidarité Culture Liège. Qu’on puisse ou non répondre à ces demandes de subsides, cet outil permettrait de prendre le pouls des initiatives culturelles existantes et émergentes. Bien utilisé, il permettrait d’avoir une vue globale de votre politique de subsidiation et peut être, qui sait,  de faire les arbitrages nécessaires en vue de l’équilibrer.

Certains vous demandent plus de dépenses, d’autres moins, une troisième voie serait déjà de faire mieux avec ce qui existe déjà.

Merci pour votre attention.

Elena Chane-Alune pour le Groupe Vert Ardent

Intervention au Conseil Communal Spécial Budget du 22 décembre 2020

 

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