Vert Ardent votera contre le règlement de police que le Collège nous soumet ce soir. Entendons-nous bien, nous rejoignons entièrement la finalité de protéger les personnes des risques d’une mauvaise ou d’une importante consommation de gaz hilarant. Nous partageons aussi celle d’améliorer la propreté publique, en la débarrassant des capsules métalliques qui jonchent par endroits le sol de notre ville.

Cependant, nous considérons ce règlement, qui vise à interdire la vente et la consommation à toute personne, inefficace, disproportionné et incohérent. À quoi sert dans ce Conseil d’avoir des débats nuancés sur le cannabis, ou de voter la création d’une Salle de Consommation à Moindre Risque pour ensuite sortir un des règlements les plus répressifs de Wallonie sur un produit très peu addictif et d’une dangerosité faible ? Vous vous réfugiez derrière la demande du Procureur de roi d’avancer sur la loi fédérale interdisant l’usage de protoxyde d’azote par les mineurs, mais votre règlement va beaucoup plus loin : il l’interdit pour toute personne, et ne distingue pas les mineurs des majeurs. Enfin, et c’est sans doute le principal, nous ne pouvons accepter une politique de répression déliée de toute politique de prévention et de réduction des risques.

Ce règlement est donc : 

1/ Inefficace

Inefficace car la pure prohibition du protoxyde d’azote n’entraînera pas une diminution de sa consommation et car l’applicabilité du règlement nous paraît non démontrée. C’est aussi les avis d’Eurotox, observatoire épidémiologique des usages de drogues en Wallonie, ou encore de la Fédito Bruxelloise, qui avait été consulté par la Chambre lors de la préparation de la loi fédérale. Eurotox écrit que : « Des restrictions locales ou nationales n’auront probablement qu’un faible impact sur la disponibilité du produit, dans la mesure où il restera accessible dans les communes ou pays voisins, via une commande sur Internet (…) Etant donné 1) le niveau de prévalence de consommation relativement bas ; 2) le type d’usage qui en est généralement fait (occasionnel et récréatif) ; 3) le faible pouvoir addictif du produit ; et 4) sa faible dangerosité pour autant qu’il soit consommé adéquatement, il ne paraît pas opportun d’en interdire l’usage ou d’en restreindre excessivement l’accessibilité. »

La diffusion du produit est très large, ça n’est pas un produit interdit. Autrement dit, il va continuer à se vendre et poursuivre toutes les détentions est simplement impossible. On se rend bien compte que la Police va infiniment jouer au chat et à la souris. Et c’est d’autant plus paradoxal de nous proposer un règlement sisyphéen que vous vous exprimez haut et fort ces derniers temps sur le manque d’effectifs au sein de la Police et sur la difficulté à effectuer l’ensemble de ses missions. Soyez sincère : c’est une fausse interdiction. Vous ne visez pas une réelle chasse au protoxyde d’azote, ce serait illusoire. Vous dotez la police liégeoise d’un outil qui permette de sanctionner certains groupes qui dérangent dans l’espace public.

2/ Disproportionné

Voilà en quoi ce règlement est disproportionné. Le protoxyde d’azote est un gaz hilarant. Comme tout produit, une mauvaise consommation entraîne des risques. Mais ceux-ci sont relativement faibles, et encore moindres quand la consommation est limitée (or c’est ce que montrent les chiffres, la consommation est très occasionnelle, et le produit n’est pas vraiment addictif) et qu’elle se fait dans de bonnes conditions (ne pas inhaler directement à la capsule, ne jamais consommer seul…). De ce fait, Eurotox et la Fedito invitent à prendre du recul, à analyser les problèmes réels posés, à éviter de créer des effets contre-productifs de la vente et de la consommation clandestine, et d’y apporter des solutions ciblées, surtout en prévention, j’y reviendrai.

Le protoxyde d’azote, par qui est-il consommé ? Très majoritairement par des jeunes dans le cadre de soirées privées. Mais ce règlement ne va pas les toucher. Et ce n’est pas, d’ailleurs, votre objectif. Vous ne visez pas la protection de l’ensemble des concitoyens et concitoyennes. C’est pour ça que vous allez plus loin que la loi de la Chambre qui se limite aux mineurs d’âge. Votre objectif n’est pas de protéger les plus jeunes, auquel cas le règlement concernerait uniquement les mineurs, comme la loi fédérale. Il s’agit en réalité de pouvoir intervenir sur des groupes cités comme nuisants.

Vous promulguez un règlement qui va s’appliquer lors d’interventions auprès de jeunes, mineurs ou non, qui se trouvent dans un parc, sur une place ou sur un parking. Le règlement le dit : « l’usage détourné du protoxyde d’azote sur la voie publique est le fait de groupes d’individus qui troublent le repos des riverains par les nuisances que de leurs attroupements occasionnent sous l’effet conjugué de l’excitation et de l’euphorie provoquées par le gaz inhalé ». Sachant que des règlements existent déjà pour lutter contre le tapage nocturne, chercheriez-vous une motivation supplémentaire pour intervenir sur ces groupes ? C’est exactement la même hypocrisie que celle autour de l’interdiction du cannabis : beaucoup de Belges croient qu’il existe une certaine tolérance autour du cannabis. C’est complètement faux ! Mais, comme l’explique très bien la criminologue Christine Guillain, les interdictions ne touchent pas Monsieur et Madame Tout le Monde qui consomment des drogues chez eux. Il touche les personnes qui se regroupent dans l’espace public (par exemple des jeunes qui vivent dans de petits logements et se retrouvent sur la place du quartier), ou des personnes qui sont contrôlées par la Police pour une raison toute autre, et pour qui la possession de capsules de protoxyde d’azote va alimenter la preuve d’un comportement délictueux. Ce règlement est disproportionné car il crée clairement deux poids, deux mesures.

3/ Incohérent

Incohérent quand on écoute vos discours, Monsieur le Bourgmestre, car vous dites soutenir la campagne Stop1921, qui veut mettre fin à la pénalisation des usages de drogues. Or, vous déposez un règlement qui incarne l’exact inverse ! Et pas un kopeck, pas une mesure de prévention ciblée. Force est de constater que la prévention et la réduction des risques sont une nouvelle fois les oubliées des politiques drogues, alors qu’elles se révèlent bien plus efficaces.

Nous privilégions de loin la politique d’autres communes, telles que Charleroi, qui favorisent la prévention, l’information à destination du personnel éducatif et des familles, des conseils de réduction des risques pour les consommateurs. D’autres communes bruxelloises ont formé leurs équipes de prévention, de cohésion sociale et de stewards urbains à la problématique du protoxyde d’azote, aux stratégies de prévention efficaces auprès des jeunes et aux politiques de réduction des risques à mettre en place avec les consommateurs. Cela rejoint ce que préconise Eurotox : « Etant donné 1) le niveau de prévalence de consommation relativement bas ; 2) le type d’usage qui en est généralement fait (occasionnel et récréatif) ; 3) le faible pouvoir addictif du produit ; et 4) sa faible dangerosité pour autant qu’il soit consommé adéquatement, il ne paraît pas opportun d’en interdire l’usage ou d’en restreindre excessivement l’accessibilité. En revanche, il est important d’informer préventivement les consommateurs, en particulier les jeunes, sur les risques liés à la consommation de ce produit et sur les moyens de les minimiser. »

La Fedito va même plus loin en disant que : « il est largement établi que les mesures de santé publique basée sur l’interdit sont moins efficaces – si non contre productives – que des mesures visant à éduquer, prévenir et réduire les risques« . La priorité, aujourd’hui, se trouve dans la santé publique. Le protoxyde d’azote est vu comme une source de détente et d’amusement. Il répond peut-être aussi au besoin d’évasion très fort que crée le confinement et la privation de nombreux loisirs pour les jeunes. Les objectifs sont donc d’informer sur le produit, sur les risques éventuels et leur réduction, et de travailler avec les publics cibles les diverses ressources de plaisir alternatives. Pour ce faire, nous appelons la Ville à se mobiliser, à créer des ponts avec les acteurs de prévention, de santé et experts en usages de produits psychoactifs que sont RELIA, Nadja ou encore Alfa, avec le Centre local de promotion de la santé et à ne pas créer d’entraves au bon dialogue entre les acteurs de santé et les consommateurs de protoxyde d’azote. En effet, comment amorcer un dialogue en confiance dans une école quand cela implique pour des jeunes de reconnaître une infraction ? Vis à vis des commerçants, nous préférerions également qu’une campagne de sensibilisation soit réfléchie avec eux, à l’instar de ce qui se fait pour l’alcool.

Bref, ce règlement mélange santé, propreté et tapage. Il existe déjà des règlements concernant les deux derniers points, qui peuvent être appliqués. Le point central est bien celui de la santé. C’est le grand absent de la politique que vous nous proposez ce soir. La prévention et la réduction des risques permettraient justement de limiter les prévalences et les risques liés à la consommation de protoxyde d’azote. Des messages de prévention et de réduction des risques devraient donc être adressés aux publics cibles.

Caroline Saal pour le groupe Vert Ardent

 

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