Mmes et MM les conseillères et conseillers communaux,

Dans cet exigeant débat sur le Budget, j’évoquerai avec vous deux sujets que vous savez me tenir à cœur – non pas de l’urbanisme ou du patrimoine même s’ils mériteraient d’avoir voix au chapitre – mais bien des Taxes et de la Dette. Vous avez pu, Madame Defraigne, apprécier la semaine dernière mon soutien et mes félicitations, mais je crains qu’elles n’aient fait long feu… revenons-en si vous le voulez bien à ce qui nous occupe ces dernières années, une opposition de principe sur le fond et un désaccord frontal dans la forme.

Les taxes

  1. Pour commencer, je dois me féliciter de pouvoir intervenir sur les Taxes alors que celles-ci sont sensées “ne pas bouger”, alors qu’il y à quelques années pour la même raison on avait jugé mon intervention inopportune. Vous ne souffrirez pas cette fois-ci de surdité sélective, il faut vous en faire crédit. La locution “taxes qui n’évoluent pas” mérite en effet de très gros guillemets puisque tout en ne bougeant pas il est prévu une augmentation de 7,1 millions d’euros par rapport au CMB 2020 et même de 11,3 M€ par rapport au Budget 2019, soit respectivement 4% et quasiment 7% d’augmentation. Si l’on se penche sur la part purement locale de la fiscalité, on parle de 4,9 à 6M€ d’augmentation, soit 12 à 15% d’augmentation! Pendant des décennies les libéraux ont farcis toutes les feuilles de choux disponibles de crainte d’une bien illusoire “rage taxatoire”, croquemitaine des classes moyennes, dévoreuse de chaques sous gagné… et vous la voir mettre en œuvre est un signal un brin ambigu. C’est comme dire que le prix du pain n’augmente pas alors que le pain est plus petit: ça ne trompe personne ou alors ça ne trompe qu’un moment…
  2. Les taxes poubelles – ménages et non-ménages – viennent d’augmenter et les liégeois qui nous entendent ne voient pas le plus petit début de changement au quotidien. Que dois-je répondre à Carmen de la rue du Pommier, qui ramasse encore et encore les masques usagés devant chez elle ou à Grégory de Jonruelle qui voit chaque jour que Dieu fait les immondices s’accumuler sur le coin face à sa maison? Faire de la compta n’est pas faire de la politique, Madame Defraigne, or nous vous demandons plutôt la seconde, même si la première est indispensable. C’est un peu comme si dans une compétition de patin à glace – c’est de saison – vous vous contentiez du programme imposé, alors que c’est sur le programme libre qu’on peut juger de vos qualités (ou pas). Le “coût-vérité” à ses droits, mais le service rendu au public AUSSI! Et pour le coup, le compte n’y est pas.L’absence de budgétisation des redevances sur l’enlèvement de déchets abandonnés – on parle bien de zéro euros – montre bien tous les espoirs du Collège placés dans une politique de répression qui ressemble à un emplâtre sur une jambe de bois.
  3. Dans la même veine et comme on l’à trop souvent vu, au premier titre comme pour la taxe “Bars” dont il à été question cet automne, qui dans les faits questionne le travail du sexe dans notre Ville, raisonner uniquement sur base de chiffres, de tableurs ou de taux ne fait pas une politique et ne vaut encore moins un débat. J’aimerais, à l’avenir et si cela vous agrée, que nous puissions davantage débattre en commission, lors de l’instruction des dossiers et non au moment où il s’agit d’un simple vote. Il en est de nombreuses qui pourraient faire l’objet d’une communication plus limpide et d’un débat plus large…
  4. Taxes sur les bâtiments inoccupés: c’est évidemment LA grande déception s’agissant de Taxes. Liège regorge d’immeubles inoccupés, abandonnés, inutilisés, qui se dégradent pour certains… On parle de 2000 logements inoccupés sur notre territoire! En la matière nous restons très largement en dessous de ce qui pourrait être fixé comme objectifs et ce d’autant plus que des manœuvres immobilières peu reluisantes se font jour notamment aux alentours du trajet de la ligne 1 du Tram. Or il peut s’agir d’impulser des dynamiques vertueuses, termes que vous avez régulièrement utilisés dans votre présentation. Quel dommage de ne pas passer de la parole aux actes… Là-dessus le mot d’ordre semble être “spéculation partout, ambition nulle part”.
  5. Vous, ou le Collège, avez négligé toute l’année 2020 durant les propositions de Vert Ardent en soutien au commerce, comme par exemple :
    1. De prendre contact avec les propriétaires de commerces privés pour aider les commerçants à négocier des exonérations ou baisses de loyer.
    2. En refusant de soutenir la demande à l’aide des monnaies locales, comme de nombreuses communes le font pour aider le petit commerce local
    3. Tout comme pour la taxe-urbaine non-ménages, les commerçants, indépendants et professions dites “libérales” sauront se souvenir de tout cela, car qui dit “légal” ne dit pas “moral” et encore moins “juste”, en la circonstance.
      Les commerçants, dont je suis, pour la plupart au neuvième cercle de l’enfer à quelques exceptions près, sauront s’en rappeller.
  6. Sur la forme j’aurais voulu vous entendre moins plastronnante, moins matamoresque hier quoique j’ai apprécié que vous fussiez brève. Que de grands mots, que de formules lyriques, que d’hyperboles et d’emphase pour tresser les lauriers de votre propre travail… prenez garde à la fracture de l’ego. En fin d’allocution j’avais le sentiment de devoir choisir entre vous décerner la Légion d’Honneur ou la Médaille Fields. Vos équipes – et vous-mêmes – avez accompli votre devoir dans des circonstances très difficiles, soyez-en remerciés. Vous le fîtes comme des milliers de belges ordinaires ou extra-ordinaires, mais point trop n’en faut, ne lésinez pas en 2021 sur le budget “modestie” sachant que “charité bien ordonnée commence par soi-même”.

La dette

  1. Pendant mes six premières années dans cet aréopage, une question récurrente qui ressurgissait à intervalles réguliers était “la dette du passé”, censée avoir été définitivement soldée lors de la mandature précédente, la majorité feignant ignorer d’où cette dette et de quel passé elle était issue. L’on sait qu’à Liègeque les placards sont pleins de cadavres et autres fantômes, et j’en veux pour preuve que ce “passé”, à peine enfoui par un “Grand Accord” avec la Région à ressurgit non pas par enchantement mais par une sorte d’injustice immanente, voulant que les enfants paient indéfiniment les erreurs de leurs parents. Telle est la dette des liégeois: le boulet de Sisyphe. Je suis d’autant plus à l’aise en affirmant cela que personne ici n’était aux responsabilités quand la Ville de Liège s’est pris d’une folie des grandeurs en moyens humains et urbanisme de la terreur qui lui coûte encore aujourd’hui. Quand je dis “personne”, je vous parler à vous, faits de chair et de sang, sachant pertinemment quelles forces politiques mirent la main dans ce jeu-là, et si l’on ne me taxera pas de désamour pour le rouge et le bleu, on peut dire qu’à l’époque comme aujourd’hui ils ne se marient pas harmonieusement à la Violette.
  2. Mais la dette du passé, c’est le passé, je voudrais quant à moi vous parler de la dette du FUTUR! Pas la dette écologique qu’on nous présente pour ce siècle-ci et dont nous vous enjoignons à nous préoccuper urgemment. Pas de la dette de science-fiction qui se compte en crédits avec ses lasers et soucoupes volantes. Mais bien la dette de la génération liégeoise, politiques et habitants confondus qui arrive tout de suite et, venons-en au fait, que je vais vous proposer de refuser d’un bloc. Refuser d’un bloc? Oui, refuser d’un bloc comme on refuse un héritage, comme on fait valoir son droit d’inventaire quand une génération s’efface au profit de la suivante.
  3. Avec la “cotisation de responsabilisation” l’état fédéral a posé une mine en dessous du siège de nombreuses entités fédérées au premier rang desquelles les plus impécunieuses car les plus mal financées: les communes. Parmi celles-ci certaines étaient plus exposées au risque: parce qu’elles avaient les épaules les plus larges on demanda aux Villes d’engager à tour de bras avec le déclin de l’industrie, ce qui était une manière d’économiser sur les indemnités de chômage soit dit en passant; quinze an plus tard au bord de la faillite nous dûmes cesser de nommer. La réglementation inique nous puni pour avoir obéi deux fois à l’état fédéral puis à la région wallone. Cela s’appelle changer les règles du jeu en cours de partie et ce n’est pas réglo, or si on veut bosser ensemble il faut un minimum de fair-play. De deux choses l’une: soit tout le monde est réglo et on joue dans les règles, soit il faut quitter la table et mettre les choses au point.
  4. L’Etat fédéral n’est pas au rendez-vous quand il s’agit de financer correctement le CPAS, quand il s’agit de financer correctement les Zones de Police, quand il s’agit de financer correctement les Zones de Secours. La région se tait dans toutes les langues sur les politiques urbaines, et ce depuis 40 ans; je vous épargne nos démêlés avec la Province ou la Fédération Wallonie-Bruxelles, sans qu’il nous faille oublier de balayer, nous aussi, devant notre porte sur l’efficacité de la dépense publique par exemple.
  5. Les flux croisés de financement avec l’Etat fédéral, la région wallonne, la fédération wallonie-bruxelles, la Province, ne peuvent PAS légalement faire l’objet de mécanismes de compensations. Je pense qu’il serait à la fois responsable et très différent du “lamento liégeois” habituel dont se plaignent nos interlocteurs. Au même titre qu’un ménage prévoyant n’attend pas d’être dans le rouge pour chercher des solutions, au même titre qu’une entreprise annonce ses résultats, il nous faut pouvoir dire à nos partenaires: à ce stade et suite aux changements de législation que nous avons subis, la Ville de Liège doit se préparer à faire défaut sur sa dette.
  6. 329 millions d’euros, sur 5 ans, c’est quasiment le DOUBLE des dépenses d’investissement prévisibles pour la même période. Si nous devons, si nous devions, assumer cela cela signifierait par exemple cesser pendant 5 ans toute forme d’investissement ET EN PLUS, par exemple supprimer la moitié de la dotation de notre Police… Rien que d’évoquer ces scénarios, que l’on peut déplacer à l’enseignement, au social, à la culture, ou à d’autres fonctions démontre combien c’est vertigineux pour ne pas dire virtuellement impossible. Je le répète: c’est prendre ses responsabilités que de l’annoncer, de prévenir, ce n’est pas “se plaindre” – même si la dernière mode consiste à blâmer la victime.
  7. Évidemment un “défaut sur la dette”, fut-elle future en ce cas, n’est pas indolore: cela grève l’image de marque et je sais que les grands anciens parmi ayant connu des affres de la fin des années 80 s’en souviennent amèrement. Il ne s’agit pas ici d’aller à Canossa pour confesser nos propres fautes, mais de refuser net l’iniquité. On a vu avec les casseroles argentines ou l’intransigeance européenne face à la Grèce ont produit des résultats contrastés… Le cadre budgétaire de 2020 est, à cet égard, opportun, car on voit comment nos gouvernements réagissent différemment en 2020 qu’en 2000 ou en 2010. Ces austérités n’ont en rien fait évoluer favorablement, en quoi le corsetage subit par Liège durant près de 20 ans a-t-il sauvé quoi que ce soit ?
  8. Dans une discussion à 3, Etat-Région-Ville, si l’on veut éviter un “mexican standoff” qui se prolonge, il faut creuser une analyse systémique des droits et devoirs mutuels, sans nous défausser des nôtres propres:
    1. Une base de discussion serait de plafonner la cotisation de responsabilisation à un ratio moyen, avec une marge à ne pas dépasser. Sur base du taux moyen des communes et niveaux de pouvoirs concernés, avec une itération maximale
    2. Une seconde balise pourrait être d’analyser la part “raisonnablement réservable” à la charge des pensions pour une entité fédérée comme la nôtre, à ne pas dépasser – exactement comme on calcule un ratio de solvabilité pour un ménage.
    3. Je n’y reviendrai pas en détail, Monsieur le Bourgmestre, car nous savons être du même côté de la barrière, mais le financement des effets de centralité peut aussi être une manière d’aborder le problème – et je salue que droit soit fait à nos suggestions en la matière de travailler de concert avec Charleroi. Il nous à peut-être fallu 50 ans pour nous en apercevoir, mais la Wallonie n’est en rien un cercle avec un centre, mais une ellipse, un cercle avec DEUX centres…
  9. Reste que cette éventuelle annonce d’un futur “Défaut sur la Dette” constitue de toute évidence une politique de tension, voire une tactique de tension. Comme vous le savez peut-être (probablement plus vous M; le Bourgmestre que vous Mme l’échevine), c’est une tactique syndicale bien connue: il faut un peu charger pour mettre en oeuvre un rapport de force. Eh bien, chiche, chargeons…?! De toute façon la tactique utilisée depuis des années par nos échevins, à savoir serrer les fesses et croiser les doigts, ne fonctionne de toute façon pas…
  10. Comparaison n’est pas raison mais tout de même:
    1. Un ménage surrendetté s’adresse au tribunal pour tenter une médiation, et peut bénéficier d’un “réglement collectif de dette”, où ils DOIVENT faire TOUS les efforts possibles à l’égard de ces créanciers, mais aussi bien que l’on ne peut pas faire saigner un caillou, les créanciers renoncent à tout récupérer tout en récupérant le maximum.
    2. Un société, acculée, peut faire l’objet au tribunal d’un “PRJ”, d’une procédure de réorganisation judiciaire – c’est l’ancien concordat que les avocats que vous êtes avez eu à connaître peu ou prou. Cette procédure tient à l’écart les créanciers le temps d’une réorganisation pour permettre une relance, le tribunal incitant ici aussi les créanciers à passer un coup de chiffon sur ce qui ne peut être recouvré.
    3. Les Etats, à leur corps défendant ou en le revendiquant, peuvent faire défaut sur la dette – avec toutes les conséquences que cela comporte.
    4. Comme entité fédérée, comme niveau de pouvoir intermédiaire, nous ne disposons d’aucune de ces voies de recours, mais nous n’en sommes pas pour autant complètement désarmés comme je viens de vous le démontrer. Je ne peux que vous inviter à mettre en oeuvre ce “warning sur défaut”, et je vous annonce que Vert Ardent compte bien, dans le futur, mettre en oeuvre ce scénario si aucune solution n’à été apportée dans un futur proche… Et s’il n’est aucune juridiction pour donner droit à la Ville, je vous invite à utiliser un tribunal qui est à la disposition de tout un chacun, le tribunal médiatique, ou à fortiori parlementaire…

Quentin le Bussy pour le Groupe Vert Ardent

Intervention au Conseil Communal Spécial Budget du 22 décembre 2020

 

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